ivre d'une joie informulée.

L'immense vérité qui m'avait foudroyé montait comme un Graal. C'était bien cela: le contact avec le divin par la lutte contre le mal, la conception du partage humain enfin simplifiée, une moitié de l'humanité consumant de sa compassion la désolation de l'autre moitié, la délivrant de sa douleur et lui offrant ses forces...


La pitié, que l'on avait toujours considérée comme une valeur statique, manifestait une puissance incontestable. Prendre et donner seraient les deux plateaux d'une même balance, mue par la décantation de la pensée.

En arrivant dans ma chambre, comme je m'étendais pour me reposer, j'ouvris machinalement un livre qui traînait sur ma table.

Ce livre me parla. Il dit: "La notion de révélation au sens où, brusquement, avec une incroyable sûreté, une finesse indicible, quelque chose devient visible, audible, quelque chose qui nous ébranle et vous bouleverse jusqu'au tréfonds, ne fait que désigner l'état de fait.

On écoute, on ne cherche pas, on accepte sans demander qui donne; comme un éclair brille la pensée... Un ravissement dont l'immense tension se résout parfois en un flot de larmes... Un total "hors de soi" avec la conscience très distincte d'un nombre infini de frissons subtils, de ruissellements qui descendent jusqu'aux orteils, une profondeur heureuse où le plus douloureux, le plus sombre ne fait pas contraste mais apparaît comme conditionné, comme provoqué, comme une teinte nécessaire à l'intérieur d'une telle surabondance de lumière: un instant de rapports rythmiques qui couvrent de vastes espaces de formes; l'extension, le besoin d'un rythme qui tout embrasse... Tout cela se passe de façon absolument involontaire mais comme dans une bourrasque de sentiment, de disponibilité, de liberté, de puissance, de divinité" (Nietzsche).

Comment ne pas reconnaître la main de la destinée ? Grâce à ce livre je sus que je ne me trompais pas, que ma journée d'hier, sordide et révoltante, avait été une naissance.

Et l'homme que j'étais devenu, décida quoi qu'il dût lui en coûter, de se consacrer à cette nouvelle naissance.