J'étais simplement devenu lui. J'avais mal partout à en crier. Mais je me répétais: "Je ne souffre pas, je me bats. Ce n'est pas moi qui halète, c'est lui en moi. Nous ne sommes pas deux prisonniers mais un prisonnier et un guerrier. Maintenant que je suis sa douleur, je dois détacher cette douleur de nous deux. J'y arriverai."


Dans ce but, je forçais ma vie personnelle à remplir en totalité mon cerveau, mes pensées, mes sensations, tout mon moi enfin. Ceci me constitua une armure intérieure que je n'avais plus qu'à déplacer vers l'extérieur, ce que je ris. La douleur étrangère tomba aussitôt de ma chair comme une peau morte.

La bataille était gagnée. Le blessé avait cessé de gémir. Il dormait paisiblement. Moi j'étais heureux, en paradis. Une joie nouvelle débordait de mon corps comme une lumière.

Quand la porte de la cellule s'ouvrit, j'eus l'impression de m'évader d'un rêve.

- On dirait qu'il va mieux, dit le gardien en se penchant sur le blessé. Ce n'était pas grave. Cette fois c'est pour vous qu'on vient. Suivez-moi !

- Qu'allez-vous faire de lui ? demandai-je.

- L'emmener à l'infirmerie, bien sûr. Hier soir il n'y avait plus de place. Et ce qu'on va faire de vous, ça ne vous intéresse pas ?

Je haussai les épaules. Avant de suivre le gardien, je me tournai vers le blessé pour le regarder une dernière fois.

- Merci mon ami, mon enfant, mon frère, lui dis-je intérieurement. Tu ne sauras jamais qu'il te fallait endurer cette torture pour que, dans ma vie sans but, je voie se lever une aube.

- Vous avez compris que nous avions fait erreur, me dit le fonctionnaire qui m'accompagnait à la grand'porte. Nous nous excusons.

Je ne répondis pas. Il n'aurait pas compris que je lui prenne les deux mains pour le remercier.

Je me sentais bien dans cette lumière neuve, car j'en faisais partie maintenant, non plus en spectateur anonyme mais en témoin intégré.

Quelque chose d'indéfinissable s'émouvait en moi, comme lorsqu'on entend de très loin la musique d'un autre monde apportée par le vent. Je n'éprouvais plus la nécessité d'être quelqu'un de défini par rapport à quelque chose de précis. Je marchais sans penser à la route,