Le grand dictionnaire de cuisine

Il faut l’avouer, quoi qu’il nous en coûte, les gourmands s’en vont plus encore que les grands poètes. Les meilleures tables ont été renversées par la mort ou par les révolutions, pires que la mort. De nos jours, O profanation! nous avons assisté à la vente en détail des plus célèbres caves parisiennes. Ceux mêmes qui les avaient fondés, ces précieux entrepôts de la gaieté, de la verve, de l’esprit
– disons-le – de l’amour des hommes, ceux-là mêmes faisaient entrer dans leurs caves déshonorées l’huissierpriseur, ce triste convive qui déguste les vins sans les boire et tout simplement pour savoir l’argent qu’il en faut demander. Les bons vins, la liqueur divine destinée aux amis, aux poètes, aux belles personnes, aux douces joies du foyer domestique, le propriétaire avare les faisait vendre pour en avoir de l’argent! De l’argent pour remplacer tant de sourires, tant de vivats, tant d’aimables regards, tant d’espérances presque accomplies, tant de lèvres amoureuses doucement humectées! Tirées de leur obscurité et de leur paix profonde, ces dives bouteilles, encore toutes couvertes de leur manteau diaphane, filé par l’araignée ou par les fées de Bordeaux, de Mâcon et de la Côte-Rôtie, avaient l’air de se dire: Où allons- nous?
Spectacle affligeant! triste décadence!