L’intégration

L’intégration
Dès cet instant, je me cloîtrai chez moi et mis une pancarte sur ma porte: ABSENT. EN VOYAGE. Personne ne me dérangerait.
Je voulais tâter d'un procédé qu'on nomme l'intégration, grâce auquel un être se substitue totalement à un autre être par identification.
J'avais tant observé le jeu des concordances dans les similitudes que je pouvais les affronter sans crainte. Mes poumons respireraient pour les poumons de Reine.
En me concentrant fortement sur le corps en détresse de ma petite Reine, je parvins tout d'abord â repérer, puis à voir nettement ses poumons malades. Je les distinguais bien mieux que sur les radios car, moi, je les voyais tels qu'ils étaient, avec leur couleur. Tachés par les érosions, et d'un aspect gris, ils pendaient comme deux grandes poches flasques. J'allais tout d'abord les revitaliser en les remplissant de mon souffle. Ensuite, je les ravauderais.
Pendant des heures et des heures, mettant mentalement mes poumons dans le thorax de Reine, je respirai lentement, avec mille précautions, pour éviter la douleur, dosant soigneusement la légèreté d'entrée de l'air.
Ce travail, que j'aurais cru facile, me devint bientôt si pénible qu'il me sembla avoir un fer rouge dans la poitrine. N'y tenant plus, vers le soir, je m'interrompis pour aller marcher un peu. Je me disais que j'avais quand même aussi le droit de vivre.
En rentrant chez moi j'entendis le téléphone:
- Qu'est-ce qui se passe ? me disait mon ami. Depuis ta visite hier, Reine allait tellement mieux. Et voilà que cette après-midi les  douleurs ont repris ainsi que les étouffements. Peux-tu m'expliquer ?
- Je me reposais. Ne t'inquiète pas, je me remets tout de suite au travail.
Le rythme des soins s'imposait de lui-même. D'abord revitalisation, afin de fournir des réserves au corps. Puis intégration de mes poumons sains afin que les poumons malades retrouvent l'atmosphère du tonus indispensable, et, enfin, tissage fluidique pour réparer les muqueuses entamées: ce que j'appelais le ravaudage.
Pour la revitalisation, je projetais sur Reine le fluide s'échappant de mes mains tendues, paumes en avant, à hauteur de sa poitrine. Je savais par expérience que le résultat serait immédiat et spectaculaire.
Ensuite je respirais pour elle, à la façon déjà décrite. Pour le ravaudage, j'installais en face de moi l'écran lumineux que m'avait prêté mon ami, sur lequel je pouvais présenter et lire les radios.
Je m'attaquai d'abord à la caverne la plus importante. 
J'en entourai les bords d'une ligne fluidique et je les "travaillai" un peu comme un peintre travaille un trou qu'il faudra boucher sur la toile pour le rendre invisible.
Cela me prit beaucoup de temps: des jours et des jours. Car il me.
fallait sans cesse reprendre la revitalisation générale ainsi que le rythme artificiel de respiration.
Enfin, un matin, je sentis que les bords de la caverne devenaient vivants. Je crus les voir onduler et j'intensifiai mon action. De jour en jour la muqueuse s'étendit sur la cavité jusqu'à ce qu'il n'y restât plus qu'un point creux.
Je ne sais combien d'autres plaies il y eut ainsi à reboucher mais je terminai tout juste quand arriva le jour fatidique marquant la fin des trois semaines.
- On refait les radios cette après-midi, me téléphona mon ami.
Reine a pu se lever. Elle viendra te voir avec moi comme une grande fille. Mais je te préviens. Sa place est réservée au sana que j'avais contacté. En principe, elle partira demain.
- Avoue que tu n'as jamais eu vraiment confiance en moi.
- Nous en reparlerons demain.